Il existe des créatifs capables de vous ouvrir une porte sur leur monde, un monde à part entière, inédit, multiforme et explorateur, dans lequel pourtant le projet ou la sensibilité des autres trouve tout de suite la juste place pour s’étoffer. C’est le cas de Rebeka Warrior et de son univers traversé d’impulsions, placé avec délicatesse et savoir-faire au service de chaque film, de l’histoire que celui-ci raconte et de la personne qui le réalise. « J’ai découvert, peut-être naïvement, que la composition dépendait toute entière de la rencontre avec le réalisateur. Il me faut absolument adhérer au film. Il se joue une reconnaissance dans la collaboration qui est indispensable à une composition possible. Je sais que j’apporte un univers, mais le film lui-même aura son propre univers, c’est toute la question. C’est pour le créer que l’on construit ensemble. D’ailleurs pour l’instant, je ne vois pas de marqueur véritablement commun aux films dont j’ai composé la musique, si ce n’est à chaque fois une rencontre réussie et la formalisation de ma spontanéité musicale. »

Parmi les récents longs-métrages sur lesquels elle a travaillé : Paula d’Angela Ottobah (2023), Langue étrangère de Claire Burger (2024) et une comédie musicale en préparation d’Alexis Langlois, Les reines du drame (2024), pour laquelle elle s’est franchement amusée à composer et à écrire les paroles des chansons. Côté série, Split (2023) d’Iris Brey.

Rebeka Warrior n’est pas issue d’une formation musicale proprement dite. Diplômée des Beaux-Arts, « où j’ai quand même étudié les sons et la musique expérimentale », précise-telle, elle trace depuis plus de vingt ans une fourmillante carrière de chanteuse, compositrice et DJ à travers différentes collaborations dont les groupes Sexy Sushi, Mansfield.TYA et Kompromat en duo avec l’artiste et compositeur Vitalic. Des styles variés, des courants musicaux qui se juxtaposent, une poésie constante chez cette lectrice acharnée, adepte du zen, très sensible à l’écriture, intéressée par le baroque, experte de l’électro-punk, de l’EBM et de la cold wave. Paradoxal ? Absolument pas lorsque l’on écoute ses productions et sa façon de s’exprimer. Rebeka Warrior trouve et sème de la poésie partout, jusqu’aux thrillers psychologiques comme Paula. « Je trouve ça intéressant de laisser le compositeur aller au bout d’une idée, qu’il y ait une pointe d’extrême, de radicalité, pour pouvoir dire quelque chose sans faire de l’ombre au récit. C’est aussi pour cela que l’échange avec le réalisateur est fondamental, que ce dernier soit sûr de ce qu’il veut ou qu’il le cherche encore. Une fois que j’ai capté l’attente, je peux me lancer très vite. »

Car Rebeka a le sens du cinéma. Elle est une compositrice profondément cinéphile ; une cinéphile pointue, au clair avec ses propres goûts, sans arrogance ni volonté de démonstration. Ce sont les génériques qui l’ont d’abord menée à la composition de musique à l’image : pour ça, on est venu la chercher. Puis, à son tour, elle a eu envie d’aller plus loin, plus profondément, d’accompagner à sa manière l’image par le son. Une approche de la musique avec laquelle on la sent à son aise, en pleine conscience de ce qu’elle sait faire et de ce qu’elle peut apporter. « Je suis pour aller dans le sens même du mot audiovisuel », explique-t-elle. « L’audio d’abord, pour mieux servir le visuel. Cette conception infuse toute ma façon de travailler : je rencontre le réalisateur et lis le scénario, puis je commence tout de suite à poser les contours d’un univers sonore qui infusera toute l’histoire et sa réalisation, sans attendre les premières images. Surtout pas. La musique infuse le tournage, en quelque sorte. Elle indique une direction générale. »